Comment reproduire un arbre à partir d’une semence avec succès ? Découvrez nos conseils d'experts
Dans nos milieux naturels, les végétaux se reproduisent majoritairement par la production de grandes quantités de semences qui sont dispersées aléatoirement par le vent, l’eau et même les animaux.
Dans les pépinières, différentes méthodes ont été développées pour multiplier de façon ordonnée et prédictive des végétaux spécifiques. On pense au bouturage, au marcottage ou même à la culture in vitro. Ces méthodes de multiplication artificielle ont pour résultat de produire des clones, des copies conformes des végétaux mères utilisés. C’est très utile quand on veut multiplier des cultivars stériles ou si l’on veut reproduire un spécimen qui présente des caractéristiques génétiques qui nous intéressent. La reproduction par semis est aussi couramment utilisée en pépinière. Cette méthode consiste simplement à faire germer des semences dans des milieux de culture. C’est notre méthode chouchou, quasi toutes les espèces que nous produisons sont issues de semis. Selon nous, l’avantage principal de ce mode de multiplication est de favoriser une grande biodiversité génétique dans les lots cultivés.
Pour réussir à reproduire un arbre à partir d’une semence avec succès, il faut au préalable passer par deux grandes étapes essentielles : la récolte et le conditionnement pour la germination. Nous nous intéressons dans cet article à ces deux opérations.
La Récolte : Des Semences Saines et Matures comme Gage de Succès
Les semences des arbres et des arbustes du Québec sont très variées d’un point de vue physiologique. Certaines comme celles des bouleaux, des spirées ou des bleuets sauvages sont minuscules alors que d’autres comme celles des noyers, des chênes ou des caryers sont très grosses. Certaines semences sont contenues dans des fruits (amélanchiers, aronies, sureaux) ou dans des cônes (pruches, mélèzes, pins, épinettes, cèdres) et doivent être extraites. Mais plusieurs sont facilement accessibles et peuvent simplement être cueillis dans l’arbre ou l’arbuste (érables, chênes, bouleaux, tilleuls).
L’extraction et le nettoyage des semences sont des sujets à part entière, mais sont plutôt des enjeux de production lorsque l’on doit rassembler de grandes quantités de semences et que les extraire manuellement une à une n’est pas une option. Pour obtenir des petites quantités de semences propres, utilisez vos mains et votre jugeotte!
Les semences doivent être conservées dans un frigidaire. Pour une conservation à long terme (plusieurs semaines à plusieurs années), il faut les assécher avant de les mettre au frigo.
Le temps de récolte : un facteur clé incontournable
Le facteur primordial pour la récolte des semences est de cueillir au moment opportun, soit lorsque la pleine maturité des semences est atteinte. Si l’on cueille des semences avant qu’elles ne soient matures, elles risquent de ne pas être en mesure de nous donner la satisfaction recherchée!
Certaines espèces fleurissent tôt au printemps et viennent à maturité rapidement en mai ou juin. Les érables rouges, les érables argentés, les peupliers, les saules et les amélanchiers sont des exemples d’arbres dont on récoltera les semences tôt dans la saison. Pour d’autres espèces qui fleurissent plus tard en saison ou qui prennent plus de temps à former leurs semences, il faut attendre l’automne entre les mois de septembre et novembre. Les érables à sucre, les chênes, les caryers et les noisetiers sont des exemples d’espèces dont on récoltera les semences en automne.
Quelques exceptions existent bien sûr… Pour certaines espèces, une cueillette légèrement antérieure à l’atteinte de la pleine maturité est favorable. C’est le cas pour plusieurs Viornes, les Tilleuls et les Ostryers.
La période de récolte idéale est donc propre à chaque espèce. Il est alors très important, selon l’espèce que l’on veut reproduire, de déterminer la période de récolte idéale. Plusieurs ressources peuvent vous aider à déterminer cette information. Nous recommandons d’excellents ouvrages pour vous aider à la fin de cet article.
Au moment de la récolte, un test de coupe de quelques semences peut être utile pour vérifier la viabilité et vous aider à vérifier que la semence est entièrement formée et saine.
Conditionner les Semences Pour Qu'elles Germent (ou Comment Jouer à Mère Nature)
Il faudra par suite de la récolte effectuer quelques opérations pour arriver à faire germer les précieuses semences collectées. Rien de trop sorcier, il faut simplement se mettre dans la peau de mère Nature!
La dormance des semences, un mécanisme physiologique essentiel pour le climat du Québec
Dans nos conditions climatiques, les végétaux ont développé des mécanismes pour que les semis germent au bon moment. Il serait en effet très hasardeux pour un gland de chêne de germer lorsqu’il tombe au sol en automne alors que la neige et les grands froids de nos hivers québécois sont imminents. Le gland qui tombe au sol en automne doit donc être en mesure d’attendre patiemment le retour du printemps suivant. Le mécanisme qui permet cette adaptation se nomme la dormance. Plusieurs semences répondent à ce phénomène. Tant qu’elles sont physiologiquement en dormance, elles ne germeront pas. Dans la nature, la dormance est levée grâce aux conditions physiques et climatiques dans lesquelles évoluent les semences. On se doute bien que ces conditions ne sont pas réunies dans nos maisons! Il faudra donc les reproduire de façon artificielle.
Lever la dormance des semences pour les faire germer en quelques étapes toutes simples
Pour briser la dormance d’une semence, il faut débuter par bien l’hydrater. Ensuite, il faut effectuer une stratification en la plaçant au froid pour une période déterminée. Parfois, la stratification froide devra être précédée par une période au chaud. Chaque espèce a sa propre recette. Les vendeurs de semences partagent habituellement les recettes de stratification avec leur clientèle et parfois même les informations sont diffusées sur leurs sites Internet. Nous vous invitons à effectuer vos recherches!
La scarification, une étape préalable essentielle pour certaines espèces
Certaines semences qui ont un tégument très épais, très dur et imperméable auront besoin d’une scarification avant de pouvoir être hydratées. Le processus de scarification d’une semence consiste simplement à abîmer son enveloppe externe pour créer des petites brèches dans le tégument par lesquelles l’eau pourra s’infiltrer à l’intérieur pour hydrater les tissus. On peut le faire avec du papier sablé pour les plus petites semences comme celles du vinaigrier ou du sumac aromatique. Pour les plus grosses semences qui se manipulent bien, on peut utiliser un petit couteau. Le chicot du Canada est l’espèce que nous produisons dont les semences sont les plus coriaces, elles sont dures comme de la roche, littéralement! À la pépinière, nous passons les semences une à une sur une sableuse à ruban.
Pour scarifier de gros volumes de semences, les professionnels utilisent parfois l’eau bouillante ou l’acide sulfurique. La technique avec l’acide ne doit absolument pas être utilisée à la maison vu le danger associé à ce produit chimique.
Le trempage, pour que la semence soit prête à amorcer ses processus physiologiques
Pour bien hydrater les semences, il faut simplement les immerger dans l’eau pour une période de 12 à 24 heures, parfois plus. La plupart des semences vont caller lorsqu’elles seront bien gorgées d’eau. Si quelques semences d’un lot ne callent pas au bout de 24 heures, c’est probablement parce qu’elles sont vides ou corrompues. Un test de coupe permettra de valider cette hypothèse.
Semences en flottaison
Il existe évidemment certaines exceptions… Certaines semences de rosier flottent malgré tout. Si vous avez des semences qui refusent de caler, faites un test de coupe pour vérifier qu’il y a bien un embryon à l’intérieur.
D’autres semences, comme celles des spirées, sont tellement petites qu’elles restent sur le dessus de l’eau. Comme elles sont très petites, on peut les hydrater plus facilement en les déposant sur de la tourbe bien humide (mais pas détrempée) dans un petit contenant. On peut utiliser un vaporisateur pour s’assurer qu’elles sont collées au substrat.
Quand le trempage est terminé, on place les semences dans un sac à glissière ou un petit contenant avec un médium au choix qui gardera l’humidité : sable, terreau, vermiculite, papier absorbant, etc. Il est important de s’assurer qu’il y a une certaine circulation d’air dans le sac ou le contenant afin d’éviter le développement de moisissures et l’asphyxie des semences. Le tout doit rester bien humide pour toute la période du traitement.
Stratification chaude : imitation des conditions de l’été
Pour donner suite au trempage, certaines variétés auront besoin de passer une période au chaud comme elles le feraient dans la nature si elles étaient dispersées en plein milieu de l’été. La période optimale varie de 1 semaine à plusieurs mois selon les espèces. La température idéale est propre à chaque variété, mais règle générale, les conditions ambiantes d’une demeure (autour de 20°C) conviennent bien. En stratification chaude, nous recommandons de surveiller l’état des semences au moins une fois par semaine pour s’assurer du bon taux d’humidité et surveiller le développement de moisissures.
Stratification froide : imitation des conditions de l’hiver
Toutes les semences qui doivent être traitées pour lever la dormance doivent passer par une période de repos au froid. La température idéale est entre 0 et 5 °C. Un réfrigérateur domestique est donc tout à fait approprié. Encore ici, la période optimale varie de quelques semaines à quelques mois selon les espèces. En stratification froide, la surveillance peut être faite toutes les deux semaines puisque les risques d’assèchement et de développement de moisissures sont moins grands.
Petite semence germera et deviendra une plantule avec des besoins… vérifier bien le calendrier!
Au bout du processus… les semences traitées sont en théorie prêtes à germer et se transformer en de magnifiques petites plantules pleines de promesses! Certaines espèces attendront patiemment que vous les mettiez dans un douillet lit de plantation au chaud avant de se déployer alors que d’autres, plus pressées, germeront même au froid lorsqu’elles auront complété leurs processus physiologiques pour lever la dormance. Il faut donc s’assurer d’être prêt à les semer à la fin de la période de traitement.
Les conditions intérieures des maisons et la luminosité naturelle en période hivernale ne sont pas idéales pour de jeunes plants d’arbres et d’arbustes. Il faut donc démarrer les semis en extérieur après les derniers risques de gel, ou en intérieur si vous n’en pouvez plus d’attendre au plus tôt 2 semaines avant le dernier risque de gel dans votre région.
Voici un exemple pour les glands du chêne rouge qu’on voudrait semer à l’intérieur le 1er mai, pour placer en extérieur le 15 mai. Le traitement recommandé pour cette espèce est de 2 mois de stratification froide simplement. La date de début de stratification devrait donc être le 1er mars.
Voici un autre exemple pour les semences du cornouiller à grappes qu’on voudrait semer à l’intérieur le 1er mai, pour placer en extérieur le 15 mai. Le traitement recommandé pour cette espèce est de 3 mois de stratification chaude suivis de 3 mois de stratification froide pour un total de 6 mois de temps de stratification. La date du début de traitement devrait donc être le 1er octobre.
Faire ses propres semis d’arbres et arbustes est donc une activité à la portée de tous. Un passe-temps peu couteux qui nous permet de nous connecter avec la nature. Un bel enseignement pour les enfants d’ailleurs!
Selon nous, qui vouons notre vie professionnelle à semer des arbres et des arbustes, il n’y a pas plus gratifiant que de voir des semences que l’on a minutieusement (même presque amoureusement) préparées, germer et déployer leurs attributs. Malgré tout, certaines espèces plus capricieuses nous donnent du fil à retordre année après année. Probablement pour garder la flamme de notre passion bien allumée!
Article co-écrit par Audrey Rondeau, Biol., M. Env. et Directrice production et développement, Pépinière Vert Forêt et Suzanne Simard, B. Sc., rédactrice spécialisée en horticulture et diplômée comme technologue en horticulture
Médiagraphie:
- Flore Laurentienne Marie-Victorin (version numérique disponible en ligne : https://florelaurentienne.com/)
- Dirr A., Michael et Charles W. Heuser. The Reference Manual of Woody Plant Propagation, From seed to Tissues Culture. Second Edition. Oregon: Timber Press. 2006.
- Kock, Henry. Growing Trees from Seeds, A practical guide to growing native trees, vines and shrubs. 2nd Edition. Canada: Firefly Books Ltd. 2016.